Un accueil gourmand à Bara’laezh, la ferme de Kerdudal
Je débarque comme une fleur le mercredi 7 Juin 2023 à Bara’laezh, la ferme de Kerdudal. Après avoir longé la côte Bretonne Nord puis traversé les Monts d’Arrée, me voici à Riec-sur-Belon, près de Concarneau dans le Finistère Sud. Changement de décor. Les méandres du Belon forment une myriade de criques préservées, aux paysages sans cesse renouvelés selon la marée. Ce matin, en arrivant à la ferme, le ciel est radieux. Je reste ici pour 15 jours.
Je suis enthousiaste à l’idée de découvrir ce lieu, car le premier contact téléphonique avec Romain, l’un des associé, est engageant (Merci d’ailleurs à Grégory du GAEC Arc en Ciel pour la mise en lien). Romain me confie qu’ils aiment accueillir, ça les fait voyager. Une partie de l’équipe a vécu sa propre expérience “découverte de ferme en ferme”, ou même de voyage à vélo. Chouette, des baroudeurs ! Une équipe masculine cette fois-ci, à l’exception d’Anna qui est ici en stage CIAP (Coopérative d’Installation en Agriculture Paysanne).
Mon premier ressenti téléphonique est rapidement conforté par un accueil royal : boisson chaude, pain choco mais surtout, surtout : le pain de la ferme qui sort à peine du four. Avec sa généreuse lamelle de beurre salé, produit sur la ferme voisine de Kersegalou. Quoi de mieux pour combler la gourmande inconditionnelle que je suis ?
D’ingénieurs agronomes à paysans
Romain et Fabien s’installent en 2016 à Bara’Laezh, aussi nommée la ferme de Kerdudal. Ils se rencontrent pendant leurs études d’agronomie, à la suite desquelles chacun travaille au contact de paysans. Sur des rôles de conseil, au niveau technique ou marketing. Rapidement, le besoin émerge de redonner du sens à leurs quotidiens. Un besoin de se sentir légitimes à tenter de faire évoluer les modèles agricoles, par les actes plutôt que par les mots. Face à leurs prises de conscience, entre autres sur le changement climatique, d’agir concrètement. De pouvoir se regarder le matin dans le miroir et se dire que ce qu’ils font a un sens. Leurs paroles font écho.
Fabien et Romain créent une association avec d’ancien•nes collègues de promo. Ils organisent par ce biais des visites de fermes collectives. Réfléchissent à plusieurs à la création d’un collectif agricole. À 5, à 7, puis à 4, pour finalement s’installer à deux dans un premier temps. Des divergences sur l’implantation géographique et sur les visions du projet feront essaimer les installations agricoles. Sur les 7 porteurs•euses de projet, 6 sont aujourd’hui installés paysan·nes, sur des modèles très divers et qui tournent bien. Parmi ces projets, la fameuse Coopérative Paysanne de Belêtre, précurseure du statut SCOP dans les collectifs agricoles (statut officiellement reconnu depuis 2023 pour l’obtention de la DJA grâce à leur combat acharné).
Du pain (Bara) et du lait (Laezh) à Bara’laezh, la ferme de Kerdudal
Ils s’installent sur des terres séchantes que les paysans du coin ne s’arrachent pas. “Kerboen”, la misère en dialecte local, c’est le nom du corps de ferme voisin. Leur cédant a des vaches laitières sans bâtiment de ferme, avec une salle de traite mobile. Beaucoup les prennent pour des fous : monter un projet agricole avec 20 vaches laitières pour faire vivre au moins deux personnes avec du pain et du yaourt ? Ils vont s’y casser les dents ! Et pourtant…
De la “boulange de bourrin, mais pas longtemps !” à Bara’laezh
7 ans plus tard, la ferme fait vivre 4,5 personnes, avec 20 laitières en monotraite sur 60ha. Jean-Marie a rejoint l’aventure en 2020 en tant qu’associé, après avoir travaillé quelques années comme salarié à la CUMA du coin. Perig et Pierre-Henri sont salariés de la ferme. Une partie du foncier appartient à Terres de Liens, la majorité des terres sont en fermage exceptés les 2ha sur lesquels est construit le bâtiment. L’une des fiertés des gars : avoir réussi à créer un outil de production et un modèle économique solide sur ces terres dites pauvres. Parvenir à se sortir plus de 2000€/mois/associé pour un temps de travail honnête en paysannerie, à savoir moins de 50h/semaine.
Quelques clés de leur rentabilité : une forte valorisation de leurs productions en choisissant des produits qui minimisent les pertes (yaourts, farine, pain et brioche). Une gamme de produits raisonnablement diversifiée. Un circuit de distribution essentiellement basé sur la restauration collective, sur une AMAP et une vente à la ferme. La restauration collective qui leur permet d’interrompre la transformation en Juillet-Août et donc d’avoir un rythme plus cool en été (comme dit Romain, ils font “de la boulange de bourrin, mais pas longtemps !). D’avoir su travailler une clientèle de particuliers qui s’adapte à ce choix et continue de les soutenir malgré cette pause estivale. Des choix qui leur permettent aujourd’hui de plutôt bien concilier vie de famille et paysannerie (même s’il aurait fallu poser aussi la question à leurs compagnes !).
La facilitation, gouvernail (ou parfois bouée de sauvetage) des fermes collectives
Derrière ces éléments encourageants, des débuts d’installation compliqués. Le parcours du combattant à l’installation en met déjà plus d’un•e à rude épreuve. Ensuite, on fait face au premier facteur de tensions au sein des collectifs : le Précieux (ou P*t*n, c’est selon) Facteur Humain !
Dans leurs difficultés relationnelles du début s’ajoute un rythme physique et donc une fatigue intense. Fabien et Romain ont la clairvoyance de faire appel à des services de facilitation, spécialisés sur les collectifs agricoles. Un travail de longue haleine, pas toujours confortable, qui leur permet de passer la période difficile. L’arrivée de Jean-Marie à cette période amène aussi de la tempérance.
Cet accompagnement, ils le poursuivent aujourd’hui tous les trois, environ une fois par trimestre. Même lorsque “tout va bien”. Soulagement, ouverture et meilleure compréhension des modes de fonctionnement de chacun, meilleure organisation collective… Les séances de facilitation deviennent selon eux par moment presque une drogue, qui apaise et soulage les tensions.
Une drogue dont ils apprennent à se passer pour ne pas en devenir dépendants. Mais qui prend tout son sens aux périodes charnières, comme à chaque arrivée ou départ de salarié, d’associé. C’est d’ailleurs le cas lors de mon passage, car Perig et Pierre-Henri s’apprêtent à quitter la structure pour d’autres projets.
Anticiper et fluidifier départs et arrivées dans les fermes collectives
Ces mouvements dans l’entreprise rebattent les cartes. L’opportunité pour l’équipe de questionner l’organisation du travail, le rythme et l’intensité, l’ergonomie, le salaire…; et de faire preuve d’agilité. En effet, au moins une des futur•es salarié•es sera une femme : Laura a déjà été recrutée. Un sujet qui donne lieu à de chouettes échanges au sein de l’équipe :
Pourquoi certaines femmes, y compris dans le monde paysan, font-elles le choix de la non-mixité ? Quels parallèles peut-on faire entre répartition de la charge mentale des tâches organisationnelles ou administratives sur une ferme, et répartition de charge mentale au sein du couple ? Comment chacun se positionne-t-il dans un cas et dans l’autre ?
Le rythme de “bourrin” de la boulange à Bara’Laezh doit-il uniquement être remis en question si la future salariée est une femme, ou bien pourrait-on considérer qu’il demeure très intense même pour un homme et réfléchir à l’adapter ? Une opportunité pour préserver les corps sur la durée, au-delà du genre et de la morphologie ?
Que les nouveaux arrivants soient hommes, femmes ou non-binaires, l’équipe de Bara’Laezh a conscience qu’une arrivée amène son lot de réorganisation du travail, et ils posent les jalons pour y être attentifs.
Plus de douceur qu’on ne le croit à Bara’laezh, la ferme de Kerdudal
Pour moi qui arrivait sur cette ferme littéralement à plat, le cœur un peu à vif et en besoin de douceur (voir article précédent Tour de Bretagne à vélo), cette équipe a pu m’apporter juste ce qu’il me fallait, et bien plus encore. De l’ouverture, des partages précieux, du temps, de la confiance dans le maniement des outils (j’ai eu ma première leçon de conduite du tracteur avec Perig ! 😁), du rythme, de la joie et de la bonne humeur, du réseau, des apéros au bord de l’eau… Ça n’a pas été facile de repartir !
Merci à vous Jean-Marie, Fabien, Romain, mais aussi Anna, Perig, Pierre-Henri et toutes les chouettes personnes rencontrées lors de ces 15 jours (il y en a eu beaucoup !). Je garde ces rencontres et ces moments bien au chaud dans mon cœur, et suivrai avec plaisir l’évolution de vos projets respectifs.
Après cette étape, Grains de Route poursuit son chemin en direction du Morbihan! Fin Juin, je rends visite à mon amie Lise, qui travaille à l’association Optim’Ism à Lorient. Un ami m’y rejoint pour une semaine de vélo ensemble, où nous passons quelques jours à la Ferme de Trévero, à Sérent. Ensuite, direction Guérande pour une semaine à L’Ecoasis et son jardin-forêt en permaculture !
Vous pourrez suivre toutes ces aventures :
- Sur ce Carnet de Voyage qui sera alimenté au fil de l’eau https://univoyage.co/blog/nomade/maelle-guillet/
- Sur la page Facebook du projet https://www.facebook.com/profile.php?id=10009032909369
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